C’est dans les pages de Métal Hurlant que Daniel Ceppi publia les trois premières aventures de Stéphane Clément en noir et blanc. Il a donné à son personnage alter ego ses propres traits et nous fait partager son goût pour les voyages, lui le routard qui a parcouru toutes les contrées qu’il nous restitue. Après cinq années d’absence ils nous reviennent, lui et son anti-héros, pour notre plus grand bonheur. Entretien avec l’infatigable auteur...
Pastel de Daniel Ceppi
Peinture et BD
Durant ces cinq ans d’absence en rayon librairie, vous vous êtes consacré à la peinture...
Daniel Ceppi : Au cours de ma carrière, si on peut appeler ça ainsi, j’ai dû faire une vingtaine d’expos, mais le public BD ne vient pas s’il n’y a pas de planches originales parce la peinture, ce n’est pas forcément ce qui les intéresse en priorité. Alors l’avantage avec la galerie Papiers Gras, c’est qu’il y a bien des originaux de BD, et les gens viennent pour ça, et du coup, ils découvrent mes autres réalisations.
Il y a plein d’illustrations, des couvertures que j’ai faites pour Gallimard, pour Actes Sud, des dessins pour Sciences et espace. J’ai fait beaucoup d’illustrations pour Ciel et espaces, pour illustrer des nouvelles publiées dans leur magazine. J’expose ainsi l’autre facette de Ceppi que les bédéphiles ne voient jamais.
Est-ce plus intéressant pour vous de faire de la peinture plutôt que de la bande dessinée aujourd’hui ?
Non, parce que toutes mes passions sont réunies. Ma passion première c’est d’écrire. Ensuite j’ai illustré mes histoires parce que dessiner c’est ma passion aussi. Et la peinture, c’est pour me sortir des petites cases et ne pas perdre la main sur mon métier d’origine car j’ai fait les Arts Déco et les Beaux-Arts avec une dominante dessin et peinture et, en mode mineur, la bande dessinée. La peinture, c’est casse-gueule. À chaque fois que tu commences un truc tu te mets en difficulté. Quand tu fais septante pages de BD ça roule...

Pastel de Daniel Ceppi
La peinture est peut-être moins contraignante que la bande dessinée...
Non, parce que dans la peinture, il y a une mise en danger qui n’existe pas en BD. En BD, je sais qu’il y a un éditeur, je sais que ça sera publié. En peinture, quand j’arrive à mes fins et à pouvoir exposer quelque chose je suis heureux d’y être parvenu.
La BD c’est un dessin de plus ou un bouquin de plus, pas la peinture. La peinture tu y mets tes tripes, je ne mets pas mes tripes dans la BD. Je peux mettre mes tripes lorsque j’écris le scénario mais quand je passe à la phase dessin, ça roule, il n’y a pas de risques. Les personnages je les connais, ça fait quarante ans que je les côtoie !
Pourquoi mêler vos séries Stéphane Clément et CH Confidentiel dans le one-shot Lady of Shalott ?
Parce que c’est un album un peu à part du fait que je mixe deux séries. Ou bien on l’intitulait CH Confidentiel et Stéphane Clément, chronique d’un voyageur, ou ça restait neutre sans mettre en avant l’une ou l’autre série avec tout de même le logo Ceppi tout à fait reconnaissable.

Extrait de Lady of Shalott
Quand j’ai écrit le scénario de Lady of Shalott, je me suis dit que je n’allais pas inventer de nouveaux flics, j’en ai plein sous la main, donc je mixe les deux séries. Parce que lorsque tu crées de nouveaux personnages, tu dois introduire une psychologie, les définir les uns par rapport aux autres. Là c’est génial, ceux qui veulent s’intéresser au parcours des membres de la BER, ils ont trois bouquins pour comprendre qu’Etan et Zoé baisent parfois ensemble, qu’ils se roulent des joints, qu’il est flic borderline, etc. Donc voilà, tu n’as plus à raconter tout ça !
Et rien ne t’empêche de rajouter quelques nouveaux flics au besoin ! Je ne sais pas si vous vous souvenez de Nizza dans Corps diplomatique, je me suis dit pourquoi pas lui aussi ?! Je mets tous mes flics, je fais un packaging ! Dans beaucoup de romans noirs, chez Jo Nesbö ou bien d’autres, tu retrouves les personnages, pas systématiquement mais souvent...
Un récit très noir en préparation
Vous aviez d’ailleurs un projet de scénario pour François Boucq...
Ce n’est pas tombé à l’eau mais le projet a évolué autrement. À l’origine j’allais en Asie centrale et j’ai lu plein de bouquins sur Tamerlan et cette période du XVe siècle. J’ai pensé alors à un scénario historique pour Boucq que moi je ne voulais pas dessiner...
... avec plein d’éléphants...
Exact, vous avez bonne mémoire ! Il n’y avait que lui qui pouvait faire ça et il était tout enthousiaste, François ! Et puis j’ai écris le scénario pour l’Ouzbékistan. À l’époque, l’Ouzbékistan c’était encore l’ex union soviétique, impossible d’obtenir un visa pour y aller via l’Afghanistan. J’étais frustré de ne pas pouvoir y aller, c’était devenu un fantasme pour moi ! Il m’a fallu attendre 2004 pour enfin pouvoir m’y rendre.

Extrait du Piège ouzbek
Et j’ai été fasciné par ce pays, régi par une dictature un peu rude. Et c’est à l’occasion de ce voyage que je me suis décidé d’en tirer un nouveau Stéphane, plutôt qu’une histoire située au XVe siècle. En fait, je me suis arrogé le scénario prévu pour Boucq pour en faire Le Piège Ouzbek et L’Engrenage Turkmène !
Et quels sont vos projets aujourd’hui ?
Je suis toujours resté en contact avec Juan Martinez avec qui j’avais fait L’ombre de Jaïpur. Je lui ai dit que j’allais écrire un polar très noir, genre polar nordique, glauque, avec meurtres atroces, sordides, comme celui que je viens de boucler mais dans la série Stéphane.

Extrait de la couverture du T.2 de Corps Diplomatique
Il m’annonce alors que lui aussi était en train d’en écrire un et qu’il pensait le boucler dans un délai d’un à deux mois. Je lui ai demandé s’il préférait le sortir en tant que roman ou qu’on l’adapte éventuellement en BD ? Il a opté pour la BD ! J’ai lu son scénario et je lui ai proposé de faire quelques aménagements pour le dynamiser vu qu’il avait écrit pour un bouquin. Tout ce qu’il raconte sur les personnages, il faut qu’on arrive à le mettre en dialogues. Il m’a laissé m’emparer de son roman, le mettre à ma sauce avec les dialogues dont j’ai envie et une fois que j’aurais achevé mon découpage, je le lui donne !
J’ai presque fini mon découpage et d’ici quelques semaines, on se revoit, il remet ses mots sur les miens et je démarre. Comme c’est un récit noir et glauque, j’aimerais que ce soit en noir et blanc, comme pour Corps diplomatique. Le noir et blanc me va bien avec des gris...
Vous nous avez dit qu’en voyant rétrospectivement vos premiers Stéphane, que vous estimiez que vous n’auriez jamais pu être publié en 1996 avec un dessin pareil...
Oui, parce que les scénarios, j’en suis très content, vous pouvez les relire aujourd’hui, ils tiennent bien la route.

Extrait de Stéphane Clément, L'Engrenage turkmène
Mais le dessin, c’était pour une raison technique. C’était avant l’informatique et comme j’avais collé les trames sur les originaux à l’époque je ne pouvais plus les décoller sans tout arracher ! Donc pour Casterman dans le contrat il était stipulé que j’alternais une nouveauté, avec un ancien album redessiné. C’est la raison pour laquelle j’ai redessiné les quatre premiers titres. Mais comme le scénario ne changeait pas, le fait de les redessiner n’a pas été un souci !
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